Lettre ouverte envoyée à Madame Mireille FAUGERE
Directrice Générale Assistance Publique – Hôpitaux de Paris

Paris, le 26 janvier 2011

Madame la Directrice,

Vous venez de décider « d’expérimenter » le paiement des chambres individuelles à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris.
Cette séparation en chambres « première classe » payantes (à 45 euros par nuit) et chambres « deuxième classe » non payantes, ne va pas sans poser problèmes. D’abord parce que l’égalité des citoyens face aux soins, est une question sensible, au cœur de l’éthique médicale. Tout le monde accepte que le luxe ou le superflu ne relève pas de cette égalité financée par la solidarité. A l’inverse, le confort usuel comme l’est le fait de disposer d’une chambre à un lit lorsqu’on est malade, paraît de nos jours indissociable de la qualité de vie exigible à l’hôpital. 
Nous attendions donc de vous la poursuite des suppressions des chambres à plusieurs lits, qui achèverait l’humanisation des hôpitaux commencée il y a 40 ans avec la suppression des salles communes.
Votre décision pose de plus de multiples difficultés d’application pratique. 
Dans les unités qui n’ont que des chambres à un lit (justement parce que cela doit être la norme), devrons-nous faire payer les malades alors qu’ils n’ont pas le choix d’une chambre à 2 lits ? Ne risquons nous pas alors un recours en justice ? Devrons-nous désormais dans chaque nouveau service, réserver au moins une chambre à deux lits pour pouvoir faire payer les chambres à un lit ? Si à l’inverse, dans les unités de soins n’ayant que des chambres à un lit, les malades ne paient pas, il y aura donc désormais des services avec des chambres à un lit non payantes, et d’autres avec des chambres à un lit payantes. 
On imagine mal le transfert d’un malade d’un service avec chambre non payante à un autre avec chambre payante. 
Les chambres à un lit seront bien sûr réservées en priorité aux malades qui en ont  besoin pour des raisons médicales majeures, tels qu’une infection transmissible ou des soins de fin de vie .
Nous imaginons mal que l’on puisse mettre dans une chambre à plusieurs lits un patient atteint de tuberculose ou même simplement suspect d’avoir la grippe. Et nous n’imaginons pas qu’on revienne aux paravents de notre jeunesse pour isoler le mourant de la vue des autres malades. Mais il y a bien d’autres cas : celui du malade qui se lève plusieurs fois la nuit pour aller aux toilettes, celui qui a des troubles cognitifs, celui dont on prépare la coloscopie, celui qui ronfle bruyamment, celui qui vomit, celui qui a le hoquet, celui qui crie, celui qui ne supporte pas la télévision en permanence allumée de son voisin … etc.
Lorsque toutes les chambres à un lit payantes seront occupées et qu’arrivera en urgence un malade médicalement prioritaire, devrons-nous faire sortir le malade hospitalisé dans une chambre à un lit pour l’installer dans une chambre à deux lits ? Faudra t-il le dédommager pour ce transfert imprévu ? Ou le malade payant deviendra-t-il prioritaire comme on l’a vu hélas dans certaines dérives de l’activité médicale privée à l’hôpital ? Si comme cela arrive non exceptionnellement, le chauffage dysfonctionne, le volet est en panne, la plomberie du cabinet de toilette laisse à désirer, la peinture s’écaille, pensez-vous faire, suivant les bonnes règles commerciales, des remises sur le tarif de 45 euros ? 

Les chambres à un lit payantes devront-elles, par conséquent, être mieux entretenues que les chambres non payantes ? 
Qui devra s’assurer que le malade personnellement ou son assurance complémentaire (mutuelle ou assurance privée qui d’ailleurs ne manqueront pas de reporter ce surcoût sur le tarif de leur prime), accepte de prendre en charge les 45 euros supplémentaires quotidiens ? 
Le personnel administratif ou les soignants ? Pensez-vous les encourager à cette activité par un intéressement financier ?
Visiblement vous pensez Madame la Directrice, que l’Assistance publique doit faire de la concurrence aux cliniques privées en se plaçant sur leur terrain, considérant les patients comme des clients et adoptant leurs méthodes commerciales. Verrons-nous bientôt une campagne d’affichage avec le slogan qui vous est cher « A nous de vous faire préférer l’AP-HP » ? Mais lorsque l’hôpital ressemblera à une clinique commerciale, quelles seront alors les raisons pour les médecins et les chirurgiens de rester à l’hôpital public alors qu’ils pourront gagner deux à trois fois plus en clinique privée ?

C’est pourquoi, Madame la Directrice, nous avons le regret de vous dire que nous trouvons votre décision non seulement injuste mais inapplicable, et qu’en conséquence elle ne pourra pas être appliquée.

Croyez, Madame la Directrice, à nos sentiments dévoués au service public hospitalier.

Pr A.Grimaldi, Pr B. Granger, Pr G. Reach, 
Dr J.P. Devailly, Pr A. Hartemann, Dr J.Harroche, 
Pr E.Bruchert, Pr T Papo, Pr E. Caumes, 
Dr P.F. Pradat, Dr A. Gervais, Pr F. Kuttenn, 
Pr J .Belghiti, Dr D. Annequin, Pr J.P. Vernant,
Dr F.Bourdillon, Dr N. De Castro, Dr J. Peltier, 
Pr A.Gaudric, Dr C. Guy-Coichard, Pr D.Dreyfuss , 
Pr Z.Amoura, Dr M.C. Chauveheid